PROSPECT 15
UNE EXPERIENCE DE TRANSCOMMUNALITE COORDONNEE
MARKUS RIEDER - 02/2014

Réouverture, oubliettes ou audace partagée?

Le sujet était aux oubliettes et cependant la thématiquede la réouverture de la ligne ferroviaire Dinant-Givet a attiré les foules aux CCRD. Plus de 130 personnes belges et françaises, aux origines et responsabilités diverses, aux intérêts parfois divergents, ont passé une soirée intéressante à l'écoute de Markus RIEDER (Ecole Polytechnique de Zurich).

Cette soirée, organisée conjointement par Prospect 15etc et Inter-Environnement Wallonie, avait l'objectif d'informer les citoyens sur les enjeux humains et socioéconomiques liés à une possible réouverture de la ligne transfrontalière. "Le projet de réouverture de la ligne Dinant–Givet a disparu de la une des médias. Il figure sur la liste des projets de réserve de la Région Wallonne. Il est mentionné aussi dans le SDER." signale l'orateur qui poursuit "Pourquoi intervenir maintenant, alors que personne ne croit plus à la réouverture? À mon avis, c’est le bon moment, car nous pouvons faire des propositions sans le bruit de fond politique."

Histoire

La ligne Dinant-Givet est ouverte en février 1863, est mise à double voie par l'armée allemande pendant la première guerre mais connaît, déjà dans les années 50, un trafic jugé juste suffisant pour le maintien de l'infrastructure. Le déclin de la ligne s’annonce dans les années 1960 et 1970. Les statistiques SNCB de l’époque montrent un très faible trafic fret par rapport aux lignes Dinant–Bertrix et Ronet–Marloie. Au niveau voyageurs, on constate une stabilité de l’offre au niveau de 9 A/R durant des dizaines d’années. Une telle stagnation est mortelle pour une ligne. D’une certaine manière, la fermeture intervenue en 1988 et 1989 a "bel et bien été préparée".

Markus Rieder parle clair: "Ce qui ressort de 25 ans de tentatives de rouvrir la ligne Dinant–Givet est surtout l’absence de la population et de la commune directement concernées dans le projet de réouverture. Il faut trouver des solutions actuelles aux problèmes dont nous savons qu’ils se poseront demain."

Réouverture?

Les réouvertures de lignes ferroviaires sont très rares en Belgique. Il y a plusieurs raisons et facteurs qui l’expliquent. La volonté politique de promouvoir le trafic ferroviaire régional hors zones urbaines est presque inexistante; la société civile belge est plutôt faible dans le domaine des transports publics; le mode d’exploitation de la SNCB n’est pas adapté à l’exploitation des lignes régionales dont le trafic est modeste; les coûts d’exploitation paraissent trop élevés. (Avec les coûts engendrés par le mode l’exploitation actuel, la SNCB exige une fréquentation minimale de 2500 voyageurs par jour, un seuil qu’un grand nombre de lignes et de tronçons exploités n’atteignent pas.).

A l'aide d'exemples tirés en France (pays fort peu exemplaire en matière ferroviaire selon l'orateur), en Allemagne, Suisse et Italie, Rieder montre et même démontre que rien n'est jamais définitivement figé, que les sociétés changent, les situations économiques aussi. Quant aux habitudes des utilisateurs, elles évoluent aussi.

Une vision, un projet construit.

La position de Markus Rieder repose sur une conviction. "J’ai une vision en tête. Une vision est une chose très concrète: dans le domaine des transports publics c’est un concept d’offre, c’est-à-dire un horaire pour une ligne ou un réseau. L’idée de fond de la réouverture est une offre de base d’au moins 18 A/R cadencés, samedi et dimanche inclus, c’est-à-dire un train toutes les heures dans les deux sens confondus. Les trains circulent au moins entre Namur et Givet, voire Bruxelles–Givet comme autrefois. Une exploitation isolée entre Dinant et Givet n’est pas judicieuse. Les trains doivent desservir toutes les haltes, la plupart étant des haltes sur demande. Il faut exploiter la ligne de manière efficace, c’est-à-dire sans accompagnateur, et avec un matériel roulant adapté au potentiel réel de la ligne. La réouverture doit être réalisée en deux étapes."

La première étape se limiterait à la réouverture du tronçon Dinant–Hastière, conjointement avec le RAVeL. Il faut planifier le RAVeL et la réouverture de la ligne parallèlement à cause des points de croisement à Freyr et à Waulsort. Il faut électrifier le tronçon entre Dinant et Hastière afin de pouvoir offrir des trains directs vers Bruxelles, c’est-à-dire sans changement à Dinant et avec un temps de parcours plus court.

Hastière devient alors un nœud de correspondance entre le bus et le train. Il est évident qu’il faut assurer une coordination stricte entre l’offre et la desserte bus d’une part, et l’offre et la desserte train d’autre part. Ce sont les conditions minimales du succès. "Cela est techniquement réalisable dès demain si l’infrastructure est remise en état. Cette remise en état sur le tronçon à rouvrir coûtera environ 30 millions €, électrification incluse. 30 millions €, c’est certes une belle somme, mais comme toujours ce n’est pas l’investissement qui compte, ce sont les coûts d’exploitation qu’il faut ensuite payer jour après jour. Autre aspect important: la réalisation conjointe du RAVeL et du rétablissement de la ligne entre Dinant et Hastière permet de n’intervenir qu’une seule fois."

Et Markus Rieder ajoute: "Aujourd’hui, la région souffre d’une certaine sclérose, elle a tendance à se figer. C’est plus particulièrement visible dans le domaine des transports publics. Ainsi, l’objectif réside dans un changement de style de vie, comme nous l’avons fait en Suisse ces 35 dernières années. Comme en Suisse, l’utilisation des transports publics doit devenir un acte totalement ordinaire, bien au-delà des simples trajets domicile-travail ou domicile-école. La réouverture est aussi un outil de l’aménagement du territoire dont l’impact dépasse largement le cadre des transports."

La deuxième étape de la réouverture est beaucoup plus facile que la première, donc moins spectaculaire, car moins de contraintes physiques sur les 10 derniers kilomètres. La chose la plus intéressante est le terminus à Givet, qui offre une correspondance quai à quai avec les trains vers Revin et Charleville-Mézières ainsi qu’avec les bus. Le tronçon Heer-Agimont–Givet devient une ligne belge sur territoire français. Avec cette deuxième étape, on rétablit l’offre proposée pendant des dizaines d’années, jusqu’en 1984, avec des trains directs Givet–Namur, voire Givet–Bruxelles.

Quel intérêt?

Quels seraient les avantages pour notre région? Markus Rieder en voit plusieurs dans divers domaines de la vie quotidienne: au niveau géopolitique, on augmente considérablement l’accessibilité de la région avec une offre étendue et un temps de parcours réduit. Un autre point important est l’utilisation de la réouverture comme déclencheur d’un certain dynamisme dans différents domaines sociaux, économiques et humains: amélioration de l’accessibilité à la formation supérieure et à des emplois plus nombreux, avec un temps de parcours raisonnable. "En évoquant la réouverture de la ligne Dinant–Givet, on parle beaucoup trop de chemin de fer. Il faut mettre l’accent sur la ligne de chemin de fer comme outil extrêmement performant dans le domaine de l’aménagement du territoire."

Conclusion... provisoire.

Et l'orateur de conclure: "Les facteurs de succès d’une réouverture ou modernisation de ligne ferroviaire sont, notamment, la volonté politique de part et d’autre de la frontière, une société civile qui soutient un projet concret, la volonté de créer une certaine masse critique autour des gares et haltes et une exploitation efficace, adaptée à la situation réelle. Les principaux facteurs d’échec sont l’absence de consensus politique de part et d’autre de la frontière, l’absence d’un projet concret répondant au problème public et des décideurs qui ne sont pas des usagers."

Au moment où la SNCB parle de diminution de l'offre, peut-être un éveil ou réveil citoyen permettra-t-il de remobiliser notre région. A une époque où mobilité rime avec immobilité il n'est pas interdit d'y penser.

 

Les dias de l'intervention sont ici.